J’ai pendant longtemps été membre de la Société Française de Physique : depuis des temps préhistoriques où le web était encore à l’état de larve, où lorsqu’une personne écrivait “email” on lui faisait remarquer l’oubli de l’accent aigu et non celui du trait d’union, où les téléphones portables servaient surtout à faire de la musculation quand on s’en servait. Et puis j’ai décidé, au début de cette année, de manifester mon désaccord avec la SFP en ne renouvelant pas ma cotisation, et en expliquant à son bureau pourquoi.
Pour moi, une “société savante” se doit avant tout de veiller à la diffusion de la discipline qu’elle représente, ce qui inclut de prendre position publiquement contre les attaques, directes ou indirectes, que cette discipline peut subir, et en affirmant son importance au-delà de l’aspect “utilitaire” : la formation des esprits vaut autant que la valorisation technologique, dans le cas de la physique. Ce que le site internet de la SFP formule d’ailleurs correctement à la page “Qui sommes-nous ?“, notamment avec cette phrase :
Enfin, la SFP défend les intérêts de la communauté en prenant position et en expliquant comment la physique peut répondre aux défis de la société.
Pour prendre un exemple caricatural mais que tout le monde peut comprendre : supposons que notre Président Bien-Aimé se mette un jour en tête, en plus de vouloir enfourcher le tigre, de nous convaincre que la Guyane est une île ; alors il serait incompréhensible que la Société de Géographie ne publie pas un communiqué afin de rappeler qu’une île doit être entourée d’eau pour mériter ce nom. Eh bien, pour la physique c’est pareil : ses notions centrales (conservation de l’énergie, lois du mouvement, irréversibilité du temps…) ne sauraient être ouvertement bafouées dans des discours publics sans que personne ne s’en émeuve parmi ses meilleurs défenseurs.
Pourtant, il est un discours très répandu qui bafoue à peu près toute la physique qu’on enseigne aux jeunes élèves et étudiants : la légende de Ben Laden et des 19 pirates. On pourrait fort bien la raconter comme on le fait pour les contes de Grimm ou de Perrault, la vraisemblance ne faisant pas obligatoirement partie du cahier des charges, mais non, il se trouve toujours des intégristes dénués d’humour pour prendre à la lettre le texte de la légende sacrée, et pousser des cris d’horreur si jamais vous esquissez un sourire en coin.
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