Après l’assassinat ciblé du général iranien Qassem Soleimani en Irak par un raid du Pentagone, il m’a semblé utile de citer deux passages d’un livre dont je recommande la lecture (voir en fin d’article lequel). Tout ce qui suit est vérifiable, sourcé, et ne saurait être qualifié de rumeurs ou de fantaisies “complotistes”. Les bibliothèques c’est bien, mais à condition d’en profiter pour lire leurs livres… ce que peu de monde fait, d’où un écart grandissant entre un discours ambiant hors-sol entretenu par quelques-uns au profit d’une minorité et l’état réel du savoir, quel que soit le domaine. C’est particulièrement vrai en histoire, outil politique par excellence… et sans même aller chercher des ouvrages de bibliothèque universitaire.
Voici le premier passage :
“Parce qu’il a fondé officiellement un “État juif” qui traite ses non-juifs comme des citoyens de second rang et interdit les mariages interethniques, le sionisme a été qualifié de “forme de racisme et de discrimination raciale” par la Résolution 3379 de l’Assemblée générale des Nations Unies en 1975 (révoquée en 1991). Israël est un État ségrégationniste, qui a d’ailleurs établi avec l’État d’apartheid d’Afrique du Sud, en violation du boycott par le reste de la communauté internationale, une coopération économique et militaire dénoncée également par les Nations Unies en 1973 (Résolution 3151) ; cette coopération incluait des recherches sur des armes bactériologiques “ethno-spécifiques” destinées à contaminer sélectivement les populations indésirables, menées conjointement par le Project Coast en Afrique du Sud (sous la direction du fameux Docteur Wouter Basson) et par l’Institut de Recherche Biologique fondé en 1952 en Israël sous le contrôle du ministère de la Défense1. La recherche d’armes bactériologiques capables de contaminer les Arabes en épargnant les Juifs a été poursuivie jusqu’à la fin des années 1990, et sans doute au-delà, comme l’a révélé le Sunday Times en 19982. Souvenons-nous qu’à l’époque, Israël alertait le monde entier sur le danger imaginaire des armes chimiques et bactériologiques de Saddam Hussein.
Le sionisme est né en Allemagne à la fin du 19ème siècle, dans le même creuset culturel et idéologique que le nazisme. Il lui a survécu parce qu’il a su capitaliser après la guerre sur la terrible souffrance des Juifs d’Europe de l’Ouest, et progressivement usurper la représentativité de la communauté juive internationale3. Mais il a dû pour cela faire oublier sa collaboration active durant les années 30 avec le régime nazi, amplement documentée par les chercheurs juifs antisionistes Ralph Schoenman (Histoire cachée du sionisme, 1988) et Lenni Brenner (Zionism in the Age of the Dictators, 1983, et 51 Documents : Zionist Collaboration with the Nazis, 2009). Les sionistes, qui combattaient les tendances assimilationnistes de la majorité des juifs européens, ont soutenu sans réserve les lois raciales d’Hitler interdisant les mariages mixtes ; de leur côté, les nazis voyaient alors l’émigration massive des juifs vers la Palestine comme la meilleure “solution au problème juif”. Le rabbin Joachim Prinz, futur président de l’American Jewish Congress (1958-1966), célébrait à Berlin en 1934 les lois raciales allemandes dans son livre Wir Juden : “Un État construit sur le principe de la pureté de la nation et de la race peut être honoré et respecté par un juif qui affirme son appartenance à ses semblables.” La discrimination des juifs assimilationnistes et intégrés favoriserait leur conversion à l’idéal sioniste, avait même prévu Theodor Herzl, de sorte que “les antisémites deviendront nos amis les plus sûrs, et les pays antisémites nos alliés4.” Alors même qu’en 1933 l’American Jewish Congress organisait le boycott des produits allemands, l’Organisation Sioniste Mondiale signait avec l’Allemagne nazie l’Accord Haavara permettant le transfert de nombreuses fortunes juives en Palestine. Et en 1941, le groupe terroriste Lehi, une dissidence de I’Irgoun dont l’un des chefs, Yitzhak Shamir (né Yzernitsky), deviendra Premier ministre, offrit formellement au gouvernement allemand de “prendre une part active à la guerre aux côtés de l’Allemagne” contre les Britanniques, qui à l’époque administraient la Palestine et y limitaient l’immigration juive5.
L’idéologie racialiste et suprématiste [Note de F. R. : confusion ici de L. Guyénot qui aurait dû écrire suprémaciste] du sionisme précède celle du nazisme, et l’a en partie inspirée. Zeev Jabotinsky écrit en 1923 dans Le Mur de fer, deux ans avant le Mein Kampf d’Hitler: “Un juif élevé au milieu d’Allemands […] peut devenir totalement imprégné de ce fluide germanique, mais il restera toujours un juif, parce que son sang, son organisme et son type racial, sur le plan corporel, sont juifs6.” On sait aujourd’hui ce qu’il faut penser de cette revendication raciale ; et de toute façon, il est établi que les colons israéliens issus d’Europe de l’Est ne peuvent prétendre à aucune ascendance génétique parmi les anciens Hébreux de Judée ou de Samarie, contrairement aux Palestiniens qu’ils ont expulsés de leurs terres ancestrales, et contrairement peut-être aux juifs sépharades d’Afrique du Nord, qualifiés de “déchets humains” par le Premier ministre Levi Eskhol, et soumis dans les années 50 à des mesures eugéniques de la part du pouvoir majoritairement ashkénaze (Haim Malka, Selection and Discrimination in the Aliya and Absorption of the Moroccan and North African Jewry, 1948-1956, 19887).
Zeev Jabotinsky écrit encore dans Le Mur de fer : “Toute colonisation, même la plus réduite, doit se poursuivre au mépris de la volonté de la population indigène. Et donc, elle ne peut se poursuivre et se développer qu’à l’abri du bouclier de la force, ce qui signifie un mur de fer que la population locale ne pourra jamais briser. Telle est notre politique arabe. La formuler autrement serait une hypocrisie.” Le colonialisme raciste de Jabotinsky est une clé aussi importante que le machiavélisme de Leo Strauss pour décrypter la mentalité des hommes qui œuvrent au projet sioniste, en Israël comme aux États-Unis. C’est, au minimum, une clé indispensable pour comprendre les visées ultimes de Benjamin Netanyahou, dont le père, Ben Zion Netanyahou (né Mileikowsky à Varsovie) était le secrétaire personnel de Jabotinsly. Le 31 mars 2009, Netanyahou a nommé aux Affaires étrangères Avigdor Lieberman, issu du parti Yisrael Beiteinu qui se présente comme “un mouvement national avec la claire vision de suivre le chemin glorieux de Zeev Jabotinski.” Durant l’assaut contre Gaza en janvier 2009, Lieberman a plaidé pour “combattre le Hamas comme les États-Unis ont combattu les Japonais durant la Seconde Guerre mondiale8.”
Dans l’Allemagne de la fin du 19ème siècle, la notion biblique de “peuple élu” a été transposée par les pères fondateurs du sionisme dans le paradigme racialiste qui dominait alors en Occident. Mais le sionisme est avant tout un rêve biblique, comme son nom l’indique (Sion est le nom donné à Jérusalem 152 fois dans la Bible hébraïque) : “La Bible est notre mandat”, proclama Chaim Weisman, futur premier président d’Israël, à la Conférence de Versailles en 1919. Bien qu’agnostique, David Ben Gourion (né Grün en Pologne), était habité par l’histoire antique de son peuple, au point d’adopter le nom d’un général judéen ayant combattu les Romains. “Il ne peut y avoir aucune éducation politique ou militaire valable sans une connaissance profonde de la Bible “, répétait-il9. Envisageant une attaque contre l’Égypte dès 1948, il écrit dans son journal : “Ce sera notre vengeance pour ce qu’ils ont fait à nos aïeuls à l’époque biblique10.” Ben Gourion prenait la Torah pour un récit historiquement fiable, et aujourd’hui encore, l’État hébreu la revendique comme histoire nationale, refusant les preuves archéologiques que le Royaume de Salomon, comme la plus grande partie de l’ “histoire biblique”, appartient au domaine du mythe et de la propagande11. Pour les sionistes, récits et prophéties bibliques restent un modèle et un programme immuables. Ainsi, le nettoyage ethnique planifié par Ben Gourion en 1947-48, qui fit fuir 750 000 Palestiniens, soit plus de la moitié de la population native, rappelle celui ordonné par Yahvé à I’encontre des Cananéens : “Faire table rase des nations dont Yahvé ton Dieu te donne le pays, les déposséder et habiter leurs villes et leurs maisons” et, dans les villes qui résistent, “ne rien laisser subsister de vivant” (Deutéronome 19:1, 20:16). Ce qui rend ce concept de “peuple élu” bien plus toxique que les formes séculières de racisme — outre sa totale immunité à toute forme de rationalité — est l’autre face de la pièce : l’idée que tout autre peuple sera “maudit” s’il ne sert pas le peuple élu. Le Dieu biblique abattra sa “vengeance” sur ses ennemis, les “peuples qu’il a condamnés”, et son épée, après les avoir “dévorés”, sera “remplie de sang et repue de graisse” (Isaïe 34:5-6, Jérémie 46:10).
Ce rêve insufflé par le Dieu biblique à son peuple élu n’est pas seulement un rêve racial national qui déclare les Cananéens (les Palestiniens autochtones) tout juste bons à être “exterminés sans pitié” (Josué 11:20) ou réduits à l’esclavage (Genèse 9:24-27). C’est très clairement aussi un rêve impérial. On évoque souvent ces vers du deuxième chapitre d’Isaïe (repris dans Michée 4:1-3) comme preuve que le message prophétique est pacifique : “Ils briseront leurs épées pour en faire des socs, et leurs lances pour en faire des serpes. On ne lèvera plus l’épée nation contre nation, on n’apprendra plus à faire la guerre.” Mais on omet généralement les vers précédents, qui indiquent que cette Pax Judaica ne viendra que lorsque “toutes les nations” rendront hommage “à la montagne de Yahvé, à la Maison du Dieu de Jacob”, lorsque Yahvé, depuis son Temple, “jugera entre les nations”. Ben Gourion, véritable père d’Israël, était guidé par cette vision prophétique, qu’il reprit à son compte en 1962 dans une déclaration publiée par le magazine américain Look, où il émettait cette prédiction pour 1987 (le prochain quart de siècle) : “Toutes les armées seront abolies, et il n’y aura plus de guerres. À Jérusalem, les Nations Unies (de vraies Nations Unies) construiront un sanctuaire aux prophètes pour servir à l’union fédérale de tous les continents ; ce sera le siège de la Cour Suprême de l’Humanité, où seront réglés tous les conflits entre les continents fédérés, comme l’a prophétisé Isaïe12.”
Ce qui précède est tiré de JFK/11-Septembre : 50 ans de manipulations de Laurent Guyénot, p. 280 à 285. Citons pour terminer le début de sa conclusion, “Retour sur Kennedy” :
Il y aura cinquante ans le 22 novembre 2013, la démocratie américaine était assassinée à Dallas, par un démon nommé National Security qui prit alors possession de son cadavre pour lui conserver l’apparence de la vie. Ce démon fut bientôt rejoint par d’autres âmes damnées. Aujourd’hui, il n’est pas exagéré d’affirmer que, si l’Amérique sème l’effroi à travers le monde et ravage les nations, c’est parce que ses bras puissamment armés sont habités par l’esprit d’un petit État paranoïaque et machiavélique. Avec les néoconservateurs, l’État profond américain est devenu, pour une large part, une extension du Likoud.
Pour parasiter les États-Unis, Israël exploite une affinité civilisationnelle ancrée dans les consciences des deux peuples, c’est-à-dire dans leurs mythologies nationales. Le patriotisme américain n’est-il pas enraciné dans le mythe des “pères pèlerins” puritains, fuyant la persécution tel un nouveau “peuple élu” vers une nouvelle “terre promise” ? Lyndon Johnson lui-même a résumé cette affinité en comparant un jour, devant un auditoire juif, “les pionniers juifs se construisant une maison dans le désert” à ses propres ancêtres colonisant le Nouveau Monde13. Ce qu’il soulignait ainsi involontairement, c’est l’équivalence entre le mensonge sioniste de la “terre sans peuple pour un peuple sans terre” qui a servi à couvrir le nettoyage ethnique de la Palestine, et le déni par les Américains de leur propre histoire génocidaire. Ce phénomène partagé de refoulement dans l’inconscient national s’accompagne d’une même foi arrogante dans l’élection divine, résumée dans le mythe américain de la Destinée Manifeste et éloquemment exprimée par le président Woodrow Wilson en 1912 : “Nous sommes choisis, et de manière privilégiée, pour montrer aux nations du monde comment marcher sur le chemin de la liberté14.” Ainsi parle la puissance qui se prend pour la vertu. De telles idées sont porteuses de toutes les violences, car se placer au-dessus de l’humanité ordinaire équivaut à déshumaniser celle-ci.
L’empathie, qui fonde le sens de la justice et l’expérience de la fraternité humaine, est incompatible avec une telle disposition d’esprit. L’empathie, c’est la volonté de saisir la part de vérité de l’autre. En 1965, c’était par exemple pouvoir dire, comme Robert Kennedy après être descendu dans une mine de charbon à Lota au Chili : “Si ie travaillais dans cette mine, moi aussi je serais communiste15.” Aujourd’hui, l’idéologie du “choc des civilisations”, inventée pour remplacer l’anticommunisme et cimenter les États-Unis à Israël, diffuse une culture de l’antipathie, c’est-à-dire de la peur, de la haine et de la guerre. Il semble urgent de penser autrement pour se préparer à fonder, sur les ruines de l’Empire, une “civilisation de l’empathie”. Peut-être devrait-on, pour commencer, admettre l’humanité toute entière dans le “peuple élu” ? “Car, en dernière analyse, notre lien le plus fondamental est que nous habitons tous cette petite planète. Nous respirons tous le même air. Nous chérissons tous l’avenir de nos enfants. Et nous sommes tous mortels16.”
Certains moralisateurs médiatiques nous rebattent les oreilles avec des “plus jamais ça”, prennent des mines lugubres ou hystériques pour parler du “retour des heures les plus sombres” et voudraient fossiliser — ou sanctifier — une partie de l’histoire au nom d’un “devoir de mémoire” sélectif et fort peu égalitaire. S’il y a une chose que l’histoire enseigne — mais encore faut-il avoir le loisir de l’étudier librement — c’est que toute idéologie plaçant un groupe humain au-dessus des autres afin de justifier ses envies de domination est non viable sur le long terme et condamnée à disparaître dans la violence. Des Allemands rêvaient d’un Reich de mille ans, géographiquement limité. D’autres on rêvé, et certains rêvent encore, d’une domination planétaire et éternelle. Qui sont les plus fous et les plus dangereux ?
- Thomas, Histoire secrète du Mossad, op. cit., p. 502-3.
- Uzi Mahnaimi et Marie Colvin, “Israel planning “ethnic bomb” as Saddam caves in”, The sunday Times, 15 novembre 1998
- Sur l’exploitation de l’Holocauste par le sionisme, lire Norman Finkelstein, L’Industrie de l’Holocauste. Réflexions sur l’exploitation de la souffrance des Juifs, La Fabrique, 2001
- The Complete Diaries of Theodor Herzl, Vol. 1, éd. Raphael Patai, trad. Harry Zohn.
- Klaus Polkehn, “The Secret Contacts”, Journal of Palestine Studies, printemps-été 1976, p. 78-80.
- Disponible sur le site du Jabotinsky Institute, jabotinsky.org/multimedia/upl_doc/doc_191207_49117.pdf (note de F. R. : lien cassé)
- Lital Levin, “Jewish Agency : We discriminated against North Africans”, Haaretz, 2 septembre 2012, www.haaretz.com/print-edition/features/jewish-ajency-we-discriminated-against-north-africans-1.382046
- “Lieberman : Do to Hamas what the US did to Japan”, Jerusalem Post, 13 janvier 2009, www.jpost.com/Israel/Lieberman-Do-to-Hamas-what-the-US-did-to-Japan
- Cité dans Dan Kurzman, Ben Gurion, Prophet of fire, 1984.
- Ilan Pappe, Le nettoyage ethnique de la Palestine, Fayard, 2006, p. 195.
- Lire par exemple Keith Whitelam, The Invention of Ancient Israel. The Silencing of Palestinian History, Routledge, 1996, ou le classique de Philip Davies, In Search of “Ancien Israel”: A Study in Biblical Origins, Journal of the Study of the Old Testament, 1992.
- Look, 16 janvier 1962, à lire sur The Global Jewish News Source, www.jta.org/1962/01/04/archive/ben-gurion-foresees-gradual-democratization-of-the-soviet-union
- Davidson, Foreign Policy, Inc., op. cit., p. 112.
- Wilson Center, www.wilsoncenter.org/about-woodrow-wilson
- Newfield, RFK, a Memoir, op. cit., p.46
- John Kennedy, cité dans Douglass, JFK and the Unspeakable, op.cit., p. 390-2.
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