Quand j’étais étudiant, j’adorais les dessins humoristiques de Gérard Mathieu qui paraissaient dans le magazine L’Étudiant. L’un d’eux ornait ma chambre en grand format ; on y voyait un plongeur en combinaison faire surface au milieu de la mer pour remettre une pièce dans un parcmètre – eh oui, les parcmètres fonctionnaient uniquement avec des pièces à l’époque. Ce faisant il commentait, désabusé : “C’est à de petits signes de ce genre qu’on sent poindre la fin d’une civilisation.”
C’était il y a quelques décennies déjà, nettement avant la fin du siècle dernier, et il semble qu’aujourd’hui les signes de cet effondrement civilisationnel sont de plus en plus patents, pour ne pas dire grossiers et même obscènes. Jeudi 13 mai, lors d’un point presse, le maire (démocrate) de New York a en effet tenté de convaincre les réticents à la vaccination anti-COVID en les faisant saliver sur des frites et des hamburgers gratuits (entre autres goodies).
Je vous propose ci-dessous la traduction de l’article de MSN qui relate la performance, ainsi que la vidéo officielle (non sous-titrée) de la mairie de New York. Toute comparaison avec les propos de l’intervenant cité dans l’article précédent (prix Nobel de médecine) sera intellectuellement stimulante.
——— Début de la traduction ———
Le maire de New York Bill de Blasio a poussé l’incitation à la vaccination à un niveau supérieur lors de son point de presse du matin, grignotant un hamburger et des frites et régalant la presse locale sur la façon dont il pourrait remplir sa liste de souhaits comme maire lors de sa dernière année à l’hôtel de ville.
De Blasio s’est montré optimiste ces dernières semaines – un changement d’humeur attribuable, en partie, aux batailles continues de son ennemi juré le gouverneur Cuomo avec les scandales, à l’amélioration des perspectives de la ville concernant la pandémie et à ce qui semble être une légère crise de séniorite 1.
Jeudi, de Blasio a vanté les incitations de la ville pour pousser davantage de New-Yorkais à se faire vacciner .
Parmi elles se trouve une carte-cadeau Shake Shack2 – avec des frites gratuites – pour tous ceux qui iront se faire vacciner au cours des prochains jours.
Alors qu’il vantait les avantages de se faire vacciner, de Blasio a laissé parler son Homer Simpson intérieur jeudi alors qu’il était assis à l’estrade, avec des frites, un hamburger et un grand gobelet de boisson gazeuse placés devant lui.
« Est-il trop tôt dans la journée pour manger un hamburger ? Non ? Cela pourrait être le petit-déjeuner ? » demanda-t-il, en se tournant vers son porte-parole en chef Bill Neidhardt, qui était hors champ.
Après quoi, de Blasio se tourna vers la caméra.
« Je veux que vous regardiez ça et que vous y réfléchissiez – encore une fois, certaines personnes aiment les hamburgers, d’autres non, je veux vraiment respecter tous les modes de vie – mais si ça vous fait envie, pensez-y quand vous pensez à la vaccination », a-t-il plaisanté, ajoutant la bouche bien pleine : « Mmmm… vaccination. J’ai un sentiment très positif sur la vaccination en ce moment. »
De Blasio a vanté l’opportunité pour les vaccinés d’obtenir également des places gratuites pour quelques grands festivals de musique à venir de la ville – et notamment l’Été de New York City [Summer of New York City] et l’Été de la Joie [Summer of Joy].
Le Global Citizen Festival et le Governors Ball prévoient chacun de tirer au sort des billets gratuits pour les personnes qui ont été vaccinées, selon le maire.
Pour promouvoir la promotion [sic : to promote the promotion dans le texte original], de Blasio s’est tourné vers la chanteuse King Princess, basée à Brooklyn.
« Quoi de neuf, monsieur le maire ? » dit-elle dans une retransmission vidéo. « Je vais bien, mec [I’m doing good, man]. Je suis vraiment enthousiasmée de participer à un concert live, surtout maintenant. C’est ça ma vie, et maintenant plus que jamais les gens ont besoin de ce type de transfert d’énergie, de ce type de performance pour soigner leur âme. »
Les démonstrations d’amour ne se sont pas arrêtées là.
De Blasio a nié les « rumeurs vicieuses » selon lesquelles il prévoyait d’acheter un déjeuner Shake Shack pour son personnel et a ensuite tenté de se dégager de la responsabilité, traditionnellement dévolue aux patrons, sur son porte-parole Neidhardt. Il s’est vanté d’avoir bu une grande ration de soda – attitude probablement inconcevable pour son prédécesseur, le maire Michael Bloomberg 3. Et il a spéculé sur ce qui pourrait lui faire envie après son mandat de maire, qu’il n’a encore jamais eu le temps de faire.
« Peut-être que je devrais, vous voyez, me joindre à un groupe de musiciens [band] au Governors Ball. Ce sera probablement… vous voyez, mes débuts musicaux », a-t-il déclaré. « Je vais y réfléchir. »
Lorsqu’on lui a demandé quelles chansons il pourrait chanter, le maire 4 en a choisi une dans le catalogue Princess Nokia, « Brujas ».
« Il y a un couplet particulier avec le mot “énergie” dedans, je pense que je voudrais me joindre au chœur pour ça », déclara-t-il. « C’est là l’un de mes souhaits. Vous pouvez vérifier et faire vos recherches à ce sujet. »
La phrase à laquelle il faisait référence est “Don’t you fuck with my energy“.
De Blasio a cependant parlé de jouer du basket-ball en public. Plus tard dans l’après-midi, un communiqué de presse de la mairie a promis qu’il « dénoncerait la violence armée, appellerait à la paix et jouerait au basket » dans une église de Brooklyn.
Le maire a félicité les jeunes basketteurs là-bas, mais, malheureusement, n’a pas attrapé le ballon lui-même.
—––— Fin de la traduction ——–—
Que ceux qui ne croiraient pas cet article sur parole consultent la vidéo suivante sur la chaîne officielle de la mairie de New York :
- NdT : terme familier d’anglais américain (senioritis) désignant un certain laisser-aller des étudiants à l’approche de leur fin de cycle. De Blasio approche en effet de la fin de son mandat.
- NdT : chaîne de restauration rapide basée essentiellement à New York.
- NdT : de Blasio précise en réalité que son gobelet ne contenait que de l’eau, un soda étant “un peu trop pour lui ce matin”. Les journalistes manquent de sérieux, on le savait déjà. Et ils ne citent pas non plus la coupure dans la vidéo à 37:52.
- NdT : le texte original utilise Hizzoner, un surnom employé par les journalistes pour les maires de grandes villes.
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