La semaine dernière, j’encadrais des travaux pratiques de physique pour des étudiants de première année. Parmi les expériences à réaliser, figurait l’étude des oscillations d’un pendule pesant. Comme beaucoup d’expériences maintenant, celle-ci était informatisée, l’axe du pendule (constitué d’une tige métallique sur laquelle est serrée une masselotte) étant relié à une centrale d’acquisition qui mesure l’angle du pendule à intervalles de temps réguliers, et le transmet à un logiciel qui peut ainsi afficher de belles sinusoïdes plus ou moins amorties sur l’écran de l’ordinateur.
Une bonne partie du temps de travail des étudiants consiste à produire des courbes correctes d’abord (donc à apprendre le maniement du logiciel), avant de les analyser et d’en tirer des informations, comme par exemple l’accélération de la pesanteur terrestre (notée habituellement ). En effet, pour un pendule simple et dans l’approximation des petites oscillations, la période d’un pendule de longueur est donnée par la célèbre1 formule :
En mesurant cette période (avec un chronomètre) et en mesurant la longueur du pendule (avec une règle), on peut donc déterminer l’accélération de la pesanteur,
L’expérience est assez simple et donne des résultats plutôt “jolis” à l’écran, c’est-à-dire conformes aux belles courbes théoriques introduites en cours par les enseignants. Mais justement, c’est ce côté précis et un peu froid qui rebute souvent certaines personnes dans la physique. J’eus alors l’idée de m’échapper un peu du cadre strict de la physique “désincarnée” pour poser aux étudiants une devinette : “savez-vous pourquoi les petits enfants sont souvent malades en voiture ?”
Comme ils prenaient un air étonné, je leur conseillai de chercher le rapport entre cette question et leur expérience (dans les deux sens du terme : l’expérience à réaliser et leur expérience de petits enfants). Comme ils ne trouvaient toujours pas, je leur expliquai ce qui suit.
Les êtres humains sont équipés de deux jambes qui leur permettent de marcher. Lorsqu’ils sont debout, ces jambes s’apparentent à des pendules pesants, certes moins simples que celui de leur expérience de travaux pratiques (ce sont des pendules doubles articulés au genou, sans même tenir compte de la cheville et du pied ; et leur masse est répartie), mais qui répondent au moins qualitativement à la même loi qu’un pendule simple, à savoir que leur période naturelle d’oscillation est proportionnelle à la racine carrée de leur longueur.
Or, la nature ayant horreur de gaspiller l’énergie, les oscillations des jambes lorsque nous marchons “naturellement” (pas comme les adeptes de marche athlétique !) se font avec une période qui est la période “naturelle” des pendules pesants que sont nos jambes. Ceci afin que nos muscles travaillent le plus efficacement possible, c’est-à-dire travaillent surtout à nous faire avancer et non à faire battre nos jambes2.
Au passage, c’est aussi ce qui justifie le passage de l’allure “marche” à l’allure “course” : lorsqu’on veut aller plus vite, le mouvement des jambes doit s’accélérer, ce qui le rend peu efficace s’il s’écarte trop de la fréquence naturelle d’oscillation. La solution pour ralentir ce mouvement d’oscillation consiste à décoller temporairement les pieds du sol ; si la jambe “propulsive” (ayant un pied en contact avec le sol) est bien obligée, par les lois de la cinématique, d’avoir un mouvement vers l’arrière aussi rapide que l’est la course, celle qui revient vers l’avant peut le faire moins vite, et une flexion plus prononcée du genou permet aussi de raccourcir la période propre du pendule. Et pour des animaux ayant encore plus d’amplitude de vitesse que les humains (chiens, chevaux…), et quatre pattes, il y a même trois allures qui correspondent aussi à une optimisation énergétique : marche, trot et galop.
Mais revenons à la marche : l’articulation des jambes au niveau des hanches produit, lorsque nous marchons, des oscillations verticales de notre buste. Nous y sommes évidemment adaptés : personne ne ressent le mal de mer en marchant. Lorsque nous ressentons ce mal de mer, c’est justement parce que nous sommes soumis à des oscillations verticales à une période différente (et généralement plus grande) de la période naturelle d’oscillation de nos pendules-jambes.
Or, les petits enfants ont des petites jambes ; et le fonctionnement de leur corps est évidemment adapté à leur stature : ils ne ressentent pas plus que nous d’inconfort à cause des oscillations verticales qu’ils produisent en marchant… et qui se font avec une période plus courte que pour des adultes. Et les suspensions des automobiles sont évidemment adaptées afin d’être confortables pour ceux qui les achètent, qui sont les parents et pas leurs petits enfants. La raideur des ressorts est donc réglée pour que les oscillations propres de la caisse coïncident à peu près avec celles d’un corps humain adulte pendant la marche, c’est-à-dire qu’elles semblent lentes pour les corps équipés de petites jambes… et leur donnent facilement le mal de mer.
Je n’ai pris que quelques minutes à expliquer cela, qui n’aida certainement pas les étudiants à mieux se servir du logiciel ou à mieux faire les calculs pour en tirer l’accélération de la pesanteur et son incertitude. Mais à leur mine réjouie j’ai compris que je leur avais donné un peu d’énergie psychique pour affronter les abstractions arides de la physique. Car même si c’est une science inhumaine et asociale, ce sont quand même des êtres humains qui s’en servent… et il serait dommage de la réserver aux plus inhumains et asociaux d’entre eux, faute de motivation pour les autres. Ce qui est bien souvent, il faut le reconnaître, l’image qu’elle a encore auprès du grand public.