Chișinău – Comment sortir du crépuscule ?
(Slobodan Despot)

[Note de l’administrateur de ce blog : comme d’habitude avec Slobodan Despot, parlant ici lors d’un colloque à Chișinău en Moldavie, on prend de la hauteur et du recul.

Alors que d’autres en sont encore aux affrontements gauche-droite factices, que certains pétitionnent contre la guerre, pour la paix, contre les méchants et pour les bisous, que d’autres cherchent à Trump toutes les ressemblances possibles avec un Hitler qu’ils ne connaissent que de leurs manuels de lycée, et sans s’apercevoir que sa concurrente était pire, l’écrivain suisse nous parle d’effondrement de civilisation et de fin de cycle pluriséculaire.

Et c’est par là qu’il faut commencer : on n’est pas certain de guérir une fois posé le bon diagnostic, mais si on fait le mauvais, c’est encore plus improbable. Il n’y a donc pas d’autre solution que de s’attaquer aux fondations de l’édifice pour en construire un autre, patiemment. Mais la démolition elle-même pourra être rapide, même si le concept a généralement plus d’inertie que la matière, étant à support humain.]


Nous sommes tous réunis ici par un diagnostic commun. Le modèle économique, social et politique imposé ces deux ou trois derniers siècles par la civilisation d’Europe occidentale est en train de s’épuiser. Comme un animal aux abois, il s’enfonce de plus en plus dans l’agressivité. Et comme le scorpion de la fable, il semble avoir retourné son dard empoisonné contre lui-même.

Ceci est un truisme pour tous ceux qui sont réunis ici. Nous ne serions probablement pas venus d’horizons aussi différents pour nous retrouver ici si nous ne partagions pas ce credo de base. Pourtant, il serait utile de nous interroger sur ce que recouvre exactement cette conviction.

Lorsqu’on parle de capitalisme financier, on pourrait tout aussi bien parler du monde moderne. Et même de la civilisation où nous vivons en soi, autrement dit de la civilisation tout court. En effet, il n’existe plus nulle part au monde de modèle alternatif à celui où nous vivons. Tout au plus voit-on çà et là des curiosités telles que les survivances locales de coutumes anciennes ou d’infimes esquisses d’organisations sociales fondées sur des utopies : phalanstères, coopératives, zones autonomes, etc.

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Quelques suggestions de lecture pour s’élever au-dessus du bordel ambiant, sur ce blog :

Quand le moins, c’est le plus
(Antipresse)

Slobodan Despot au salon du livre à Genève en 2006

Slobodan Despot, salon du livre,
Genève, 2006

[Note de l’administrateur de ce blog : le dimanche, c’est (parfois) Antipresse et je vous livre, cette fois, la deuxième partie d’une lettre de Slobodan Despot, sans vous avoir communiqué la première, mais avec une introduction de sa plume la rendant parfaitement compréhensible. Elle traite du jeûne et me semble au cœur des problèmes de nos sociétés “modernes” ou “progressistes”, qui ont un peu perdu l’habitude de douter d’elles-mêmes.

Le jeûne dont il est question ici est à prendre au sens premier : il s’agit de privation de nourriture. J’invite cependant mes lecteurs à méditer sur des acceptions plus larges de ce terme : la privation de biens matériels, voire la privation “d’information”, particulièrement à une époque où tout objet de la vie courante se doit d’être “connecté” (pour mieux vous déconnecter du réel ?).

En exergue d’un des chapitres de ma thèse j’avais choisi cette citation de Raymond Ruyer que je trouve plus que jamais d’actualité :

“Les intoxications par l’instruction sont bien plus graves que les intoxications par les sous-produits de l’industrie. Les encombrements d’information bien plus graves que les encombrements de machines et d’ustensiles. Les indigestions de signes, plus graves que les intoxications alimentaires.”

Il me restera ultérieurement à définir plus précisément cette notion d’information, au cœur de tant de nos problèmes. Mais c’est un vaste chantier qui n’est pas encore d’actualité.]


Les promesses de la faim (2ème partie)

J’avais l’intention de développer dans ce numéro d’Antipresse la quête du «médecin intérieur» que j’évoquais la semaine dernière et dont mon séjour sur les bords du Baïkal aura été une étape déterminante.

Au fil de l’écriture et de la consultation de mes notes, pourtant, des questions sont apparues. Il n’est pas de sujet plus délicat ni plus intime que la santé. Quel «guide», quel «gourou» suis-je pour transformer mon cas personnel en exemple à suivre? De quel droit et avec quel bénéfice pourrais-je faire de mon expérience — même pas encore bien digérée — une règle universelle ?

Je caricature, bien entendu. Toute idée de doctrine ou d’embrigadement m’est étrangère. Mais elle apparaît nécessairement, ne fût-ce qu’en germe, dans l’esprit du lecteur sitôt que quelqu’un lui dit : «Voyez, moi par exemple…» et se met à lui décrire les solutions qu’il a trouvées pour organiser sa propre vie.

Des pavés sous les ronces

Je suis allé en Russie pour ouvrir… des portes ouvertes ! J’ai emprunté sous accompagnement médical un chemin spontanément parcouru par les hommes depuis la nuit des temps. Le chemin du jeûne était jadis une grand-route, il était même la voie royale menant au rétablissement simultané des équilibres du corps et de l’esprit, cet état de plénitude qui seul mériterait l’appellation de santé.

Le sort de cette voie royale ressemble à celui des glorieuses viæ romanæ dont les pavés défoncés apparaissent parfois dans nos labours ou sur les chantiers des autoroutes — en obligeant les ingénieurs à suspendre les travaux et passer la main aux archéologues. C’était davantage qu’une méthode de guérison, c’était un art de vivre en s’auscultant et s’épargnant soi-même tout en épargnant ses ressources et celles de son environnement. Une sagesse plus qu’une science, un style plus qu’une discipline.

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