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Qui aime encore la France ? (Antipresse)

Armoiries non officielles de la République Française, telles qu’elles apparaissaient dans une encyclopédie Larousse de 1898.

[Note de l’administrateur de ce blog : le dimanche c’est (parfois) Antipresse et ce dimanche précisément, Slobodan Despot, ce non-français plus français que les vrais, nous parle de nos élections. Comment aurais-je pu ne pas vous en faire profiter, surtout qu’il tape, comme d’habitude, en plein dans le mille ?]


Pouvais-je, dans l’Antipresse, m’abstenir de tout commentaire, de toute analyse sur la présidentielle française ? Parfaitement ! La France n’est pas mon pays. Je n’y vis pas. Je suis étranger même à l’Union européenne. J’ai décliné plusieurs invitations à en débattre, jugeant inutile d’ajouter mon coup de klaxon à une bronca obsessionnelle qui occupe déjà tout l’univers mental des Français.

Grâce aux réseaux sociaux, la politique électorale a fini par pénétrer tous les pores de la vie publique. L’extrême personnalisation du débat (scandales, petites phrases, vices et compromissions) masque une profonde réticence à aborder les problèmes de fond. Les paramètres qui détermineront la vie des Français demain sont ceux-là mêmes que le barnum préélectoral jette dans l’ombre.

Je considère par ailleurs que la France n’a rien d’une démocratie. Comment peut-on parler de démocratie depuis le jour où son parlement s’est substitué au peuple en annihilant le résultat du référendum sur la Constitution européenne ? Le fait que les instances responsables n’aient pas immédiatement arrêté le président et les élus complices de ce coup d’État officialisait la transformation d’un gouvernement en régime.

Le putsch parlementaire permanent est du coup devenu le mode de gestion ordinaire des démocraties ouest-européennes, y compris de la Suisse. Des décisions de la plus haute importance pour l’avenir d’une communauté, prises dans les conditions de représentativité optimale, sont simplement balayées. Perpétuer une vie politique ordinaire dans ces conditions ne revient qu’à légitimer le simulacre. Les partis et leurs leaders s’emparent du manche à balai et font «vroum-vroum» en faisant mine d’ignorer que l’avion est passé sur autopilotage.

L’oligarchie aux commandes ne considère l’apparat démocratique que comme un costume suranné mais de rigueur, comme l’est la perruque pour les juges anglais. Elle s’amuse à le transformer en tenue de polichinelle en faisant jaillir de nulle part des pseudo-adversaires montés sur ressorts comme Tsipras, Grillo ou Mélenchon. Plus les ficelles sont grossières, et plus le public y croit. Des bouffées de franchise cynique qui «fuitent» de temps à autre — comme la remarque hideuse sur les «sans-dents» du président socialiste sortant — révèlent l’odeur réelle des cercles intérieurs du pouvoir : une vapeur émétique d’orgie de fin d’empire. Sous leurs complets étriqués de petits comptables et leurs cravates tristes transparaissent les coulées de fards du Satyricon.

On n’interrompt pas une partouze aussi déchaînée par l’austère rituel des urnes, pas plus qu’on ne calme un forcené avec de la camomille. Si d’aventure un véritable outsider était élu, il découvrirait tout le pouvoir d’obstruction des institutions noyautées, alliées à la médiacratie et si besoin à la racaille des rues. Les débauchés tuent plus facilement que les autocrates, car ils n’ont cure des conséquences. Il a suffi de trois mois à l’orgie pour transformer le taureau Trump en giton. Périsse l’État pourvu que la fête continue !

En l’occurrence, ils ont verrouillé le donjon à double tour en introduisant le système américain des primaires qui dissout les blocs politiques traditionnels susceptibles d’assurer une majorité législative cohérente incarnant un projet de société identifiable. Le produit de synthèse nommé Macron® est le fruit de cette dissolution faisant de ce qu’on appelait le «centre» un marécage sans idées où ne surnage plus que la loi de l’argent. Quel que soit le futur président, il devra se fabriquer une majorité de fortune dont le seul dénominateur commun sera la détermination à s’accrocher au train du pouvoir à tout prix. Installé à demeure sur une corde raide, il ou elle n’aura d’autre choix que de multiplier les concessions au système contre lequel il ou elle aura été élu. L’accession d’un «antisystème» au pouvoir, dans un tel contexte, ne servirait que d’alibi à la perpétuation du système. Mon seul commentaire sur la présidentielle, dès lors, se résumerait à prôner son abolition et son remplacement par la solution d’Hubert Monteilhet: une monarchie absolue tempérée par l’assassinat.

*

Tout cela étant dit, la France est quand même aussi mon pays. Elle m’a donné la langue dans laquelle j’écris et l’immense civilisation qui va avec. Jusqu’il y a une génération ou deux, on disait encore que la France était la deuxième patrie de tout honnête homme. J’ai bien connu la France. En particulier cette «France périphérique» dont parle Christophe Guilluy. Trottant derrière mon premier roman, j’ai parcouru ses petites villes et ses campagnes, de soirée littéraire en séance de dédicaces. J’ai été logé chez l’habitant, royalement accueilli par des gens qui étaient aux antipodes de ma «sensibilité» et de mes idées, juste parce qu’ils avaient encore le culte de la littérature. J’ai découvert des municipalités qui n’avaient plus de quoi se payer l’éclairage nocturne, mais qui entretenaient leur médiathèque comme un haut (et ultime) lieu d’échange et de civilité. Personne ne parle de cet héroïsme ordinaire. Personne ne salue la guerre épique que livre la France ordinaire, en marge de toute idée politique, pour préserver la survie de sa propre culture (au sens lettré comme au sens matériel) sur son propre sol.

En repensant à ce pays-là, qui passe sous les radars de l’énarchie et du spectacle médiatique, j’ai découvert ce qui rendait cette campagne électorale encore plus absurde que son inanité politique et structurelle. C’est que j’y ai entendu toutes les raisons de la peur et de la méfiance, de l’intérêt et du repli. Mais en tant que Français de cœur, je n’ai entendu personne énumérer les mille bonnes et uniques raisons d’aimer ce pays de toute son âme. A quoi bon parler du reste ?

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