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L’art perdu de la généralisation (Antipresse)

Slobodan Despot au salon du livre à Genève en 2006

Slobodan Despot, salon du livre,
Genève, 2006

[Note de l’administrateur de ce blog : je reproduis ici une article d’Antipresse, une lettre d’information dominicale que je vous engage à lire et à soutenir, déjà en vous y abonnant. Ce qui suit est l’œuvre de Slobodan Despot, un de ces “faux Français” plus français que les vrais et par conséquent encore plus révolté par les agissements de ceux qui se croient l’élite de ce pays. Pulvérisons donc avec lui le politiquement correct, cette politesse des lâches et des imbéciles (et des hypocrites).]


Voici quelques jours, j’ai laissé filer sur les réseaux sociaux une maxime atrocement raciste à propos des Français. La voici :

Les Français savent tout. Sauf qu’ils ne savent rien.

J’en ai récolté une belle volée de bois vert. Comment avais-je pu omettre d’imprimer le « fumer tue » sur le paquet ? Évidemment que tous les Français ne sont pas de pompeux ignares, de même que tous les Anglais ne sont pas perfides. Mais c’est un péché mignon : je raffole des bonnes généralisations nationales à l’emporte-pièce. Elles étaient courantes du temps de la société cultivée où l’on pouvait parler par épigrammes parce qu’on s’entendait encore tacitement sur les prémisses et les réserves de la conversation. Elles étaient injustes et abusives, mais souvent pénétrées de clairvoyance. Sur le peuple d’où je viens, on prête à Bismarck le jugement définitif : « Si vous voyez un Serbe qui porte sa chemise par-dessus la culotte, vous pouvez vous y fier : c’est le meilleur homme qui soit. S’il l’a rentrée dans le pantalon, passez votre chemin… » Évidemment que tout Serbe urbanisé n’est pas une planche pourrie et que le paysan à touloupe connaît aussi l’entourloupe. Mais cette géniale métaphore résume toute la tragédie de l’urbanisation accélérée d’une société patriarcale et agraire, dont les conséquences proprement tératologiques, en matière de morale, de comportement et de civisme, sont aujourd’hui bien plus manifestes que du vivant du grand chancelier.

La généralisation, l’aphorisme, l’épigramme sont le fleuron de la civilisation. Quand ils font « mouche », c’est qu’ils ont touché une vérité que chacun pressent confusément, mais que seul un esprit synthétique a eu le bonheur de formuler. De Maistre, Balzac et Nietzsche pouvaient encore se les permettre, mais notre époque de coupeurs de cheveux en quatre maniaco-incultes s’en offusque avec le sinistre manque d’humour qui la caractérise. A la charnière de ces deux ères, voici un quart de siècle, le merveilleux Desproges dressait une dernière grande typologie des nations, mais sur le mode dérisoire, avec Les Étrangers sont nuls.

On m’a évidemment aussi rétorqué que je n’étais pas Français. Et donc : ta gueule, métèque !

Eh non, je ne suis pas Français. En tout cas, pas par ces déterminants futiles que sont le passeport, la naissance et le « droit du sol ». Je laisse ce privilège aux mohameds qui s’envoient en l’air à la plage comme à la ville. Mais je suis passionnément français de par ma langue et ma culture, même si de nos jours cela compte pour beur.

D’autre part, et soit dit en passant, nul n’a mieux décrit les Américains que Tocqueville, qui n’en était pas un. Shut up, Tocqueville ?

Je me corrige donc : il existe au moins deux catégories de Français.

Il y a le gros du peloton, l’éternel populo, la « rayah» comme on dit chez les Ottomans. Ceux qui, hier, froissaient leur béret en s’excusant de respirer, et qui aujourd’hui mettent « par contre » au début de chaque phrase, une chuintante à la fin de chaque mot (merciche…), et qui prononcent « bonjour » en trois syllabes.

Et puis il y a les mandarins, les oulémas et autres brahmanes qui sortent des grandes familles et/ou des grandes écoles. Ces oiseaux-là se reconnaissent eux aussi à leur chant. Ils parlent en allongeant anormalement le maxillaire inférieur et en arrondissant leur bouche en cul-de-poule. Ils sont incapables, même avec leurs enfants, de prononcer une seule phrase sur un ton naturel et non pincé.

Je reformule donc ma pique sous une forme politiquement correcte :

Il est une manière hautaine, sèche et définitive de proférer des sottises sans nom qui n’existe que parmi les Français instruits.

Autrement dit, tous les Français instruits ne sont pas des ânes, mais il est une forme d’ânerie qu’on ne rencontre que parmi les Français instruits, en particulier ceux formés à l’ENA, mais pas seulement. Dans ma vie d’éditeur et d’écrivain, je suis amené à rencontrer des gens de toutes sortes, mais cette ignorance arrogante et satisfaite de l’élite française continue à me sidérer. Comment, par exemple, des parlementaires français, voire un ex-président compromis, M. Sarkozy, peuvent-ils venir en Suisse donner des leçons de bonne gouvernance à la plus vieille démocratie du monde ?

Pour comprendre cet obscurcissement de l’esprit, il faut me semble-t-il remonter… aux Lumières ! Certes, les Français (instruits) ne manquaient pas de superbe dès le temps de Montaigne et de Molière. Ils étaient avantageux — ils avaient de quoi ! — mais la philosophie des Lumières a transformé ce trait de mentalité en maladie auto-immune. Ceci grâce au léger glissement sémantique inséré dans le raisonnement qui suit :

« Nous avons enseigné au monde la Raison. Comment pourrions-nous avoir tort ? »

Les Lumières françaises n’ont évidemment pas enseigné au monde la Raison. Elles ont postulé l’absolue suprématie de la Raison, ce qui est différent. Il n’est qu’à comparer la version française et la version allemande de ce même mouvement d’idées pour voir combien le « rationalisme » français est une posture dogmatique, voire un lavage de cerveaux. Les disciples de Voltaire et Diderot se sont lancés dans la lutte contre l’« obscurantisme » — religion, tradition, coutumes, irrationnel — avec la même furia francese qui les rendait redoutables sur les champs de bataille. L’aveuglement actuel de la classe instruite n’est donc qu’un écho, fortement dilué, d’une terreur idéologique qui est allée jusqu’au génocide.

Et si les brahmanes français d’aujourd’hui ont tellement de mal à situer leur juste place dans le monde, n’est-ce pas parce qu’hier encore ils prétendaient l’avoir créé à partir de rien ?


Voir aussi, de Slobodan Despot, cet autre article sur l’attentat de Nice que j’avais repris d’Arrêt sur Info.

Un commentaire sur “L’art perdu de la généralisation (Antipresse)

  1. “et qui aujourd’hui mettent « par contre » au début de chaque phrase, une chuintante à la fin de chaque mot (merciche…), et qui prononcent « bonjour » en trois syllabes.”
    C’est bien peux charitable que de se moquer des parisiens !!!
    En revanche (ouais super) j’ai vu défilé une quantité importante (et importune) d’abrutis incultes, de crétins prétentieux, et de politiques inutiles (avec une mention spéciale pou NKM, pardon, NKMeuuu), dans le descriptif de nos zélites (ceux la même qui se réclament des Lumières, les loupiotes comme se plait a dire Dieudonné). Hélas j’y ai aussi remarqué quelques amis….

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