En ce jour anniversaire du débarquement des troupes “alliées”, il n’est question que de célébrer la Libération (avec une majuscule) en insistant lourdement sur la contribution héroïque des soldats anglais, américains et canadiens (principalement) arrivés en Normandie le 6 juin 1944 pour donner le coup d’envoi à un processus aboutissant à la capitulation allemande moins d’un an plus tard. On évitera de parler des bombardements un peu appuyés de certaines villes françaises, des pillages et des viols, ce serait mal poli. Et on ne rappellera pas le rôle prédominant de l’Union Soviétique dans la défaite du nazisme – ni l’énorme sacrifice humain correspondant – puisque ce serait “faire le jeu de Poutine” qui est forcément encore un tyran, même s’il n’est pas communiste. On insistera plutôt sur les rôles de méchants absolus tenus par le gouvernement de Vichy et la presse à ses ordres.
Ainsi le Huffington Post a-t-il rappelé aujourd’hui que cette presse “collabo” avait titré sur “l’invasion” des troupes anglo-américaines, histoire de bien souligner de quel côté se trouvaient les Bons et de quel côté se trouvaient les Méchants. Il n’aurait pas dû.
En effet, comme je l’avais rappelé dès la création de ce blog, la presse anglo-américaine elle-même titrait sur “l’invasion” de la France… et, pour ceux qui ont eu la “chance” de vivre le Débarquement côté français, le comportement des troupes alliées n’a pas laissé que des souvenirs de bonheur et de reconnaissance envers des “libérateurs”.
J’avais pris pour exemple le Los Angeles Times, mais on peut en prendre d’autres : The Sun Extra de Baltimore, qui titra “Les Alliés envahissent la France, les troupes débarquent en Normandie” (Allies Invading France, Troops Land In Normandy), ou encore le Honolulu Star-Bulletin, qui titra “L’invasion est dans les délais” (Invasion “On Schedule”). Ou le Shreveport Times de Louisiane, qui titra “Invasion Starts”, ou le Philadelphia Inquirer, qui titra sobrement “Invasion” (dans son supplément “War Extra”) et “France Invaded” (dans sa “Final City Edition“), ou le Great Falls Tribune, qui titra “Invasion On”… Etc, und so weiter.
Mais il suffit même d’aller sur la version anglaise de Wikipédia pour constater qu’aujourd’hui encore, la gigantesque opération militaire engagée par les Alliés en Normandie est traitée dans un long article intitulé… “Invasion of Normandy”. Et qui, bizarrement, ne propose aucun lien vers une version française ou allemande, alors que c’est la règle pour tous les articles traitant de sujets importants. L’article français de Wikipédia sur le Débarquement mène bien, lui, directement à un équivalent anglophone intitulé de façon neutre “Normandy landings”, mais ce n’est qu’à l’intérieur de cet article, par quelques liens, que l’on accède à l’article sur “l’invasion” anglo-américaine.
Il semble que le Huffington Post sous-estime la capacité de résistance du peuple français à la propagande yankee. Certains irréductibles savent encore lire, voire réfléchir. Et la guerre (de l’information) ne fait que commencer, car c’est par la guerre que les empires en difficulté tentent de résoudre leurs problèmes… en en faisant profiter tout le monde.
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Tout aussi significative, l’affaire des “billets drapeau”, doux euphémisme pour désigner une monnaie d’occupation que les USA avaient émise, et qu’ils avaient voulu imposer à une France libérée du joug allemand pour mieux tomber sous la férule US. Heureusement pour la France, de Gaulle veillait.
https://fr.wikipedia.org/wiki/Billet_drapeau
Très juste ! Je les avais oubliés, ceux-là…
Mouais! De même que le mot “scandale” (je prends me premier exemple qui me passe par la tête) a plusieurs sens en français, le mot “invasion”, s’agissant d’une opération militaire (on l’emploie aussi dans d’autres domaines) , n’a pas le même sens en anglais et en français. La Presse anglo-saxonne citée dans le billet l’employait plutôt dans le sens de poser le pied sur le continent européen pour lutter contre l’occupant nazi, et non remplacer un occupant par un autre.
Les troupes alliées débarquées le 6 juin1944 n’étaient pas dans une situation très différente de celle de l’Armée Rouge repoussant l’opération “Barbarossa” de son propre territoire. Ce n’était pourtant pas une “invasion” au sens français.
Au moins un autre mot, “incident”, est dans le cas d”invasion”, les autorités britanniques ayant qualifié ainsi de récents attentats islamiques.
Mes profs d’anglais qualifiaient de tels mots de “faux amis”.
Vous avez parfaitement raison de mettre en garde contre les “faux-amis”. Deux exemples courants sont actually et eventually qu’il est désespérant de voir fréquemment traduits par “actuellement” et “éventuellement” alors qu’ils signifient respectivement “effectivement” (ou réellement, véritablement) et “finalement” (ou en définitive). Sans parler de versatile, sensible, dramatic… ou même du très glissant ejaculate qui peut signifier en anglais “s’exclamer” ou “s’écrier”. Le regretté Philippe Meyer (toujours en vie, mais retraité) avait un jour sur France Inter fait une chronique réjouissante sur ce thème, en déclamant un texte anglais parfaitement chaste pour les anglophones mais particulièrement salé pour une oreille française.
On trouve d’ailleurs de nombreuses traces de ces faux-amis dans le langage marketing en raison de son origine anglo-américaine : une “offre commerciale” au lieu de “proposition commerciale”, une “expérience utilisateur” qui est même un barbarisme mais qui est la traduction littérale de “user experience” où “experience” n’a pas le sens d’expérience tout court mais d’expérience vécue, de ressenti.
Mais pour invasion, que dit The Concise Oxford Dictionary, édition 1951 ? “Invading; encroachment.” Et que dit-il au verbe invade ? “Make hostile inroad into (country etc.); (fig. of sounds, diseases, feelings etc.) assail; encroach upon (rights etc.). Et hostile n’est pas un faux-ami. Quant à encroach : “Intrude usurpingly (on other’s territory, rights, etc., or abs.)”.
Et le dictionnaire français-anglais Robert & Collins, édition 1981, donne pour invasion la traduction suivante : “invasion”.
Il semble donc bien que l’usage du dictionnaire soit encore hautement recommandable.
L’expression “pieuses éjaculations” était courante dans le vocabulaire français de la spiritualité jusqu’au vingtième siècle, comme on peut le vérifier en cherchant cette expression dans Google Livres.
Merci, j’aurai appris quelque chose aujourd’hui !