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Vers un monde nouveau (Antipresse)

Slobodan Despot au salon du livre à Genève en 2006

Slobodan Despot, salon du livre,
Genève, 2006

[Note de l’administrateur de ce blog : une fois de plus, je reproduis avec grand plaisir la prose de Slobodan Despot parue dans Antipresse, n° 51. Mais j’y ajouterai cette fois deux bémols, car je pense que son analyse de la situation, bien qu’à des kilomètres au-dessus de celles de nos “journalistes”, n’est pas suffisamment radicale pour atteindre le désenfumage total qu’il appelle de ses vœux.

En premier lieu, je ne serai pas aussi optimiste que lui sur la nomination de Michael Flynn comme conseiller à la défense de Donald Trump : bien que dissident par rapport à l’administration Obama, l’homme ne paraît pas être un désenfumeur mais un enfumeur tout aussi nocif que les autres, utilisant seulement une fumée de couleur différente. J’y reviendrai.

En second lieu, lorsqu’il parle des “théoriciens du syndrome de Stockholm à l’égard de l’islam”, il ne semble pas avoir compris que l’islam est aujourd’hui – et plus particulièrement depuis le 11 septembre 2001 – la cible d’une opération de grande ampleur visant à le détruire en promouvant au-delà du crédible ses expressions terroristes les plus caricaturales, notamment par les moyens médiatiques les plus modernes. On notera d’ailleurs que dans les contrées où l’islam a des racines profondes et solides (Iran par exemple), au contraire de ceux où son vernis clinquant dissimule fort mal l’hérésie dopée aux pétrodollars, les “terroristes islamiques” sont unanimement condamnés et combattus par les armes.

Allez Slobodan, encore un peu de désenfumage, et tu vas te rendre compte que l’étendue de la tromperie médiatique est encore plus grande que ce que tu imagines. Et peut-être comprendras-tu alors que l’obsession anti-islam de Michael Flynn est aussi irrationnelle que la tienne.]

Nous ne mesurons pas encore les répercussions de l’élection américaine. Il nous faudra pour cela des années. L’événement politique est l’arbre qui masque une forêt où plus un seul buisson n’est ce qu’il paraissait jusqu’à ce jour.

Pour ce qui nous concerne en général…

Ce qui, pour nous en Europe et dans le reste du monde, compte en premier lieu, c’est l’abandon par Trump de la désastreuse mission de «croisade du Bien» globale assignée voici 99 ans aux États-Unis par Woodrow Wilson, qui a fini non seulement par mettre le monde à feu et à sang, mais encore par amener les Américains eux-mêmes au bord de la misère. C’est donc, dans l’immédiat, l’éloignement probable d’une escalade militaire qui nous menait tout droit à la guerre nucléaire (et la nomination du général dissident Mike Flynn, ancien responsable du renseignement militaire, comme conseiller à la Défense, nous conforte dans ce soulagement).

La deuxième conséquence est le discrédit sans reste de tout notre système d’information officiel qui ne s’est pas contenté de ne pas voir venir l’actuel président, mais qui, de plus, a tout fait pour nous persuader qu’un tel hurluberlu n’avait même pas une chance de se trouver un coiffeur.

On ne juge que les perdants. Le filet du cerveaulavage était si étendu, si dense, qu’on l’a décrit sans trop d’exagération comme la Matrix du film éponyme. Il impliquait toute la panoplie des services, allant du renseignement à l’humanitaire (voir à ce propos l’article d’Éric Werner sur Snowden dans ce même numéro). Plus il s’éloignait de la réalité vécue, plus il lui fallait resserrer les mailles, colmater les interstices, éliminer les dissonances. Tout ceci ne pouvait passer qu’à un prix: le succès. Aujourd’hui, la mécanique est mise à nu comme le dispositif d’un illusionniste foireux.

La troisième conséquence, qui dérive de la précédente, est qu’il sera infiniment plus difficile désormais pour le pouvoir de façonner les opinions publiques et d’orienter les votes dans le «bon» sens. A la suite du peuple américain, les Européens se sentiront libres de s’asseoir sur les consignes de vote de leurs laveurs de cerveaux. Nul ne sait désormais quand ni où le prochain diable jaillira de la boîte. Ce qu’on peut prédire, c’est que gouverner l’Europe par l’intimidation morale qui était de rigueur jusqu’ici va devenir très compliqué.

Par là même, l’alliance de l’ultralibéralisme le plus cynique avec le moralisme le plus mièvre a cessé de fonctionner. Le truc ne marche plus. Il faudra trouver autre chose. Mais comment, quand on ne vous croit plus? Le viol est l’avenir des séducteurs éventés.

…et en particulier…

Quant à nous, ce coup de théâtre constitue une confirmation éclatante du diagnostic qui a présidé au lancement de l’Antipresse. Voici ce que nous écrivions dans notre manifeste, il y a exactement une année:

L’Antipresse est née de notre sentiment d’étouffement et de désarroi face à l’appauvrissement constant de l’information des médias de grand public, au relâchement de leur langue et de leur style, à leur incohérence intellectuelle, à leur parti pris devenu structurel, à leur éloignement préoccupant de la réalité vécue par la plupart des gens.

Au cours de l’année écoulée, et sur le sujet le plus important de l’actualité mondiale, les médias de grand chemin ont essayé de créer une illusion hypnotique en escamotant des faits déterminants et en en grossissant d’autres.

Parmi les escamotages, pêle-mêle, le fait que le président Obama a créé plus de dettes que tous ses prédécesseurs réunis (21 billards), que la classe laborieuse américaine était plongée dans la paupérisation, qu’une moitié des jeunes de 25 ans y vivaient encore chez leurs parents, chiffre pratiquement soviétique. Ces chiffres pouvaient expliquer le vote Trump de manière statistiquement bien plus probante que les accusations de machisme ou de suprématisme blanc. Mais la diversion sur les questions ethniques et sexistes fait partie des procédés d’enfumage ordinaires des médias de grand chemin.

Plus que jamais, le désenfumage s’avère une mission vitale. Notre attitude élitaire et antiélitiste, populaire et antipopuliste demeure, j’en suis convaincu, la seule stratégie possible contre l’empire de la bêtise.

…mais surtout…

Mais surtout, ce coup d’arrêt à l’expansion impériale nous fait redécouvrir un continent inconnu: le peuple américain. Par réflexe de pensée, les intérêts de l’Empire étaient identifiés à ceux des Américains eux-mêmes. La désolation dont témoigne le vote Trump nous révèle une Amérique qui souffre autant et plus des délocalisations et de la course globale à l’esclavage qu’implique le mondialisme ultralibéral. Avec le diable Trump, c’est tout le peuple américain qui resurgit de la boîte, celui du labeur biblique, de l’abnégation et de l’héroïsme quotidien. Il nous est de nouveau permis d’aimer l’Amérique sans servir la soupe à ses fossoyeurs qui sont aussi les nôtres. Le plébiscite du soi-disant repli américain a en réalité ouvert ce pays au monde. D’un seul coup, les tenants du progrès sont devenus les ringards de l’histoire.

Personnellement, le soulagement est de même nature qu’il y a vingt-cinq ans, lorsque la Russie, exsangue et défigurée, a surgi des décombres de l’URSS. Ce peuple, qui jusqu’à la veille portait le masque repoussant de l’homo sovieticus, avait retrouvé son visage humain. Ni beau ni laid: simplement humain et non mécanique.

Le jour même où la Russie s’est réveillée de sa longue hypnose marxiste, des armées de commissaires politiques et de professeurs de matérialisme dialectique ont perdu leurs postes de mandarins et ont dû retourner à la vie réelle. Le même sort attend nos oulémas du politiquement correct, nos policiers de la terreur minoritaire et nos théoriciens du syndrome de Stockholm à l’égard de l’islam. Imaginer leur retour à la vie réelle est un plaisir de fin gourmet.

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