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2) la physique newtonienne

Jérôme Quirant et la pile d’assiettes :
2) la physique newtonienne

je-suis-marteauNous avons déjà vu ici que la théorie de “la pile d’assiettes” popularisée par Jérôme Quirant pour expliquer l’effondrement “naturel” des tours jumelles de Manhattan le 11 septembre 2001 souffrait d’un défaut rédhibitoire : prédire quelque chose de contraire à la réalité observée (la persistance, au moins temporaire, de la structure porteuse après effondrement des planchers). C’est suffisant pour la savoir fausse, sans nécessité aucune de faire appel à la physique. Néanmoins, il peut être intéressant de savoir “comment elle est fausse”, car s’il n’y a qu’une vérité, il y a de nombreuses façons de se tromper, ou de mentir. Pour cela, nous allons devoir comprendre le fonctionnement d’un objet technique très répandu, et qui ne tombe jamais en panne : le marteau.

“Alors, un marteau, comment ça marche ?” pourrait dire Michel Chevalet dans une séquence de vulgarisation scientifique. Vous pensez que c’est superflu ? Détrompez-vous. Si l’immense majorité des gens savent utiliser un marteau (à peu près, au moins), peu savent véritablement comment ça marche, et sont capables de l’expliquer de façon rigoureuse. Car pour cela, il faut faire appel aux lois qu’Isaac Newton a publiées en 1687 et qui révolutionnèrent la physique. Qui créèrent la physique moderne, peut-on même dire.

Le fonctionnement du marteau se fait en deux phases : une phase d’accélération, et une phase de décélération. Les deux sont cruciales pour enfoncer des clous. Durant l’accélération, la tête du marteau acquiert de la vitesse, donc de l’énergie, une énergie dite par conséquent cinétique et qui s’exprime par la relation :

    \[ E_c = \frac{1}{2} m v^2 \]

m est la masse de la tête et v sa vitesse.

Puis vient la rencontre avec l’autre tête, celle du clou. À partir de cet instant, la tête du marteau, qui avait acquis une vitesse maximale v_{max}, est brutalement freinée ; c’est cette décélération qui produit la force sur le clou permettant son enfoncement. Voyons précisément comment relier la décélération et la force, par l’intermédiaire de la deuxième loi de Newton encore appelée relation fondamentale de la dynamique. Elle s’exprime mathématiquement comme ceci :

    \[ \sum\vec{f}=m\vec{a} \]

où le premier terme de l’égalité représente la somme des forces appliquées à un objet (une force est un vecteur : elle possède une intensité, une direction et un sens) et le second terme le produit de sa masse par son accélération (également un vecteur). En physique, accélération et décélération sont la même chose : ce n’est qu’une question de signe !

Cette relation peut être utilisée de plusieurs façons : pour déterminer une accélération, connaissant la somme des forces et la masse ; pour déterminer la masse, connaissant la somme des forces et l’accélération ; ou pour déterminer la somme des forces, connaissant l’accélération et la masse.

Tout objet est soumis, sur Terre, à au moins une force qui est son poids. Ce poids \vec{p} (c’est un vecteur : il a une intensité, une direction – la verticale – et un sens – vers le bas) est égal au produit de la masse par l’accélération de la pesanteur, notée \vec{g} :

    \[ \vec{p}=m\vec{g} \]

Si un objet est soumis uniquement à son poids, on dit qu’il est en chute libre. Dans ce cas la deuxième loi de Newton s’écrit très simplement :

    \[ m\vec{g}=m\vec{a} \]

Ce qui se simplifie en \vec{g}=\vec{a}. En principe, il faut éliminer toute autre force que le poids, y compris le frottement avec l’air ; en pratique, pour un objet dense dans l’air, au moins les premières secondes de chute seront proches de la chute libre. Et dans le vide, tout objet chute avec la même accélération : ainsi une plume ou un marteau lâchés de la même hauteur arriveront au sol en même temps.

(ici, l’accélération est la pesanteur lunaire, égale à 1/6ème de la pesanteur terrestre)

Lorsqu’un objet chutant a, sur Terre, une accélération constante mais différente de celle de la pesanteur, c’est qu’il est soumis à une force constante qui s’ajoute (au sens large : son sens peut être opposé !) à son poids \vec{p}. Si on appelle \vec{a} cette accélération, et \vec{f} la force additionnelle, la deuxième loi de Newton s’écrit :

    \[ \vec{f}+m\vec{g}=m\vec{a} \]

Ce qui revient encore à dire que la force additionnelle vaut :

    \[ \vec{f}=m\left(\vec{a}-\vec{g}\right) \]

Appliquons cela au marteau : sa fonction est d’exercer une force la plus importante possible sur la tête du clou. Il est clair que le simple fait de poser la tête du marteau sur le clou (et donc de faire supporter le seul poids de cette tête au clou) ne suffit pas, et que c’est bien le ralentissement (l’accélération, en langage de physicien) de la tête du marteau, à partir de l’instant où elle rentre en contact avec celle du clou, qui produit une force importante. Cette force dont la formule n’est autre que celle donnée ci-dessus.

Mais cette formule donne la force exercée sur le marteau, pas sur le clou ! Pas grave, nous dit Isaac : j’ai ma troisième loi, qui vous assure que lorsqu’un corps A exerce sur un corps B une force \vec{f}_{AB}, alors le corps B exerce sur A une force \vec{f}_{BA} opposée :

    \[ \vec{f}_{BA}=-\vec{f}_{AB} \]

marteau, œuf, forces

L’œuf exerce sur le marteau exactement la même force (au sens près) que celle exercée par le marteau sur l’œuf.

Donc, en résumé : si on veut produire une force importante vers le bas sur le clou, alors cela signifie que la tête du marteau reçoit, lorsqu’elle frappe le clou, une force de même grandeur mais opposée, dirigée donc vers le haut, et qu’on peut relier à sa décélération brutale \vec{a} par :

    \[ \vec{f}=m\left(\vec{a}-\vec{g}\right) \]

Pour que cette force soit importante, il faut donc que \vec{a} soit le plus grand possible : en pratique, cette accélération est tellement supérieure à celle de la pesanteur qu’on peut même négliger le vecteur \vec{g}.

Revenons maintenant à notre pile d’assiettes ; selon Jérôme Quirant, qui l’explique dans cet article (point n°4), l’effondrement des tours jumelles était inéluctable car :

“L’effet dynamique de la chute ne fait aucun doute : lorsque des dizaines de milliers de tonnes se mettent en mouvement, difficile, voire impossible de les arrêter…”

Un tel raisonnement, qu’on pourrait qualifier de “raisonnement du bélier”, ou encore de raisonnement pré-newtonien, peut largement être amélioré par l’application rigoureuse de ce qui précède et l’analyse des vidéos des effondrements, qui fournissent les accélérations des parties supérieures des tours, au moins pour les premières secondes (à la fin, tout est noyé dans un nuage de poussière, une quantité de poussière très étonnante dont nous avons déjà parlé ici). En effet, connaissant l’accélération du bloc supérieur qui s’effondre sur la partie inférieure, on peut en déduire la force auquel il est soumis, donc également la force que la partie inférieure exerce sur lui, puisque c’est la même au sens près.

Voici une de ces vidéos, d’autant plus intéressante qu’elle a été prise avec une caméra montée sur pied :

Le professeur de physique américain David Chandler a utilisé ces données vidéo pour déterminer l’accélération du toit de la tour nord (donc de son bloc supérieur) lors de son effondrement. Ses calculs sont exposés dans cet article. Le résultat est une accélération de 6,31 m.s^{-2}, alors que l’accélération de la pesanteur est de 9,81 m.s^{-2}.

La variation linéaire de la vitesse traduit une accélération constante.

La variation linéaire de la vitesse traduit une accélération constante (graphe D. Chandler).

On peut donc maintenant utiliser la formule :

    \[ \vec{f}=m\left(\vec{a}-\vec{g}\right) \]

m est la masse de ce bloc. \vec{a} et \vec{g} sont tous les deux dirigés vers le bas ; \vec{a}-\vec{g} est dirigé vers le haut et sa norme vaut 9,81-6,31 = 3,50 m.s^{-2}, soit encore 36% de l’accélération de la pesanteur. Il en résulte que la force exercée sur le bloc supérieur (et provenant, nécessairement, de ce qui est en dessous) vaut environ 36% de son poids (mais dans l’autre sens !), donc que la force exercée par le bloc supérieur sur les étages inférieurs vaut également 36% de ce poids (et vers le bas cette fois !). Or, bien évidemment, cet étages inférieurs supportaient auparavant ce poids, et même avec une marge de sécurité certaine qui peut habituellement être un facteur 3 voire 5.

Autrement dit, lorsque Jérôme Quirant écrit que “lorsque des dizaines de milliers de tonnes se mettent en mouvement, difficile, voire impossible de les arrêter…”, il semble ne pas avoir compris que l’accélération observée et mesurée de la partie supérieure de la tour prouve, non pas que celle-ci exerce une force de destruction “inarrêtable” sur la partie inférieure, mais au contraire que cette force est, au cours de l’effondrement, très inférieure à ce qu’elle était auparavant, lorsque le gratte-ciel se contentait de tenir debout et que les étages inférieurs supportaient de façon statique le poids des étages supérieurs. Et si la force de A sur B diminue, c’est aussi parce que celle de B sur A fait de même : la partie supérieure ne tombe que parce que la partie inférieure arrête de la soutenir, en exerçant une force vers le haut très inférieure à son poids. C’est le bas qui fait chuter le haut, et non le haut qui écrabouille le bas : aucune main de Dieu ne vient appuyer sur le toit des tours pour vaincre la résistance de leurs étages inférieurs.

Certes, les spécialistes de génie civil étudient davantage la statique que la dynamique. Mais tout de même. Newton, ce n’est plus la dernière nouveauté. Et la physique newtonienne est têtue : le 11 septembre 2001, trois bâtiments à structure d’acier (les deux tours jumelles et le bâtiment WTC7) ont vu cette structure céder d’un coup, provoquant une accélération constante des bâtiments vers le bas, et non progressivement à la suite d’incendies comme a tenté maladroitement de le faire croire le NIST, dans des rapports qui resteront des étalons de désinformation technique.

C’est étrange. Mais il faut se garder d’y voir la preuve d’une démolition contrôlée classique : en effet, en général lors de ce genre d’opération, les charges explosives sont déclenchées dans une séquence bien précise, et non toutes en même temps, comme en attestent les nombreux “boums” (et non un gros “boum” unique) entendus lors de l’effondrement.

Une sélection de démolitions contrôlées par explosifs multiples.

Voir aussi sur ce blog :

3 commentaires sur “Jérôme Quirant et la pile d’assiettes :
2) la physique newtonienne

  1. Bravo.
    J’admire la démonstration.
    Il est clair que la force exercée sur la partie inférieure de la tour par la partie supérieure qui s’effondre est inévitablement inférieure à celle qui existait avant destruction.
    L’accélération “a” vers le bas ne pouvant dépasser la valeur “g=9,8m/s2”, la valeur précise de l’accélération n’a pas d’importance.
    La force subie par la partie inférieure a pour valeur “F= m(g-a)” (avec “g-a<g”).
    Cette valeur est nulle en cas de chute libre et est forcément plus faible que “mg” puisqu'il a accélération vers le bas.

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